(Les chantiers oubliés ou négligés ; les prêtes noms ; facture comptable…)
Il n’est pas de société moderne qui puisse être et se penser solidaire sans que ceux qui la composent ne soient convaincus que la justice et l’égalité fiscale y règnent. En même temps, la justice fiscale représente un enjeu essentiel particulièrement difficile à résoudre si on ne la rapporte pas à une philosophie et à une éthique générale. La connaissance des comportements sociaux de sa population est un élément central à considérer dans toute réflexion d’amélioration de la fiscalité. Le pouvoir souverain de l’Etat fait de lui le garant de cela. En effet, L’Etat par le biais de l’administration fiscale, son bras financier, développe et met en application toute politique fiscale qu’il juge nécessaire pour la réalisation de ses objectifs. L’administration fiscale a une lourde mission, celle de rassembler les ressources nécessaires pour le budget général de l’Etat. Elle doit se montrer efficace et performante dans la réalisation de ses objectifs. Elle se doit d’être évolutive, dynamique et créative.
Raison pour laquelle, il est important de définir une politique qui tienne compte de son environnement social, économique et politique mais encore plus psychologique. Jean DUBREGE affirmait à cet effet : « Toute politique fiscale, doit tenir compte de ces éléments psychosociologiques, faute de quoi elle risque de déboucher inévitablement sur des échecs[1] ». Il est donc normal que chacun participe à la croissance de l’État selon ses capacités contributives. Mais qu’entends-t-on par élargissement de l’assiette fiscale ? Quelles sont les raisons de sa faiblesse ? Quelles pourrait être les solutions ?
I. QU’EST-CE QUE L’ON ENTEND PAR ELARGISSEMENT DE L’ASSIETTE FISCALE ?
A. Présentation
L’assiette fiscale est un montant auquel s’applique un taux d’imposition (Taux fixé par une loi fiscale pour le prélèvement d’un impôt sur les bénéfices des sociétés ou sur le revenu des particuliers) ou de taxation. Le prélèvement fiscal, au Cameroun, est opéré sur les biens, les revenus ou les dépenses que possèdent, gagnent ou réalisent les citoyens qui peuvent être des personnes physiques ou personnes morales. Le nombre élevé de citoyens actifs constitue un potentiel sur lequel l’Etat, à travers son Administration fiscale, peut prélever des ressources pour pouvoir couvrir les besoins de fonctionnement et atteindre ses objectifs de développement.
Quand les économistes parlent d’un élargissement de l’assiette fiscale, ils font allusion à un accroissement du montant ou du taux d’imposition d’un impôt ou d’une taxe qui s’appliquera désormais à un plus large éventail de biens, de services ou de revenus. Dans le cas de l’impôt sur le revenu, l’assiette est le revenu ou le bénéfice imposable. Certains types de revenus sont exclus de la définition du revenu imposable (ex. une partie des gains en capital). Dans le cas des taxes de vente, l’assiette est la valeur des articles assujettis à la taxe ; les produits alimentaires de base, par exemple, sont exclus de l’assiette de la taxe sur les produits et services. Il faut préciser qu’accroitre le rendement budgétaire ne nécessite pas parfois une orientation expansive de l’impôt. Au Cameroun par exemple, l’assiette fiscale est faible et de ce fait ne contribue pas véritablement au développement du pays.
- L’assiette fiscale au Cameroun
Au Cameroun, plusieurs grandes innovations ont été effectuées dans le cadre la fiscalité. Le code général des impôts en 2017 a prévu :
Premièrement[2], l’institution d’une taxe de séjour à collecter par les établissements d’hébergement (hôtels, motels, auberges, locations en meublés) auprès de leurs clients, variant de 500 à 5000 FCFA par nuitée selon le nombre d’étoiles de la structure d’hébergement. Nouvelle taxe sur la consommation, à la charge du contribuable. Désormais, les clients des établissements d’hébergement supporteront une taxe au titre de leur séjour dans l’établissement, rajouté sur le prix de l’hébergement. Tout ceci majorant ainsi le prix TTC de l’hébergement.
Deuxièmement[3], notons l’élargissement du champ d’application de la taxe sur les jeux de hasard et de divertissement aux jeux organisés par les entreprises de téléphonie mobile. Une activité longuement négligée de la part de l’administration fiscale fait désormais partie de l’assiette de l’impôt. Les jeux organisés par les entreprises de téléphonie mobile sont considérés comme des jeux de hasard au sens de la Loi des Finances 2017. Son taux est de 15 %, auquel s’ajoutent les centimes additionnels communaux (10 %). Cette taxe sur les jeux de hasard et de divertissement est instituée au profit des communes.
Troisièmement[4], application de la TVA sur les locations en meublé. S’agissant de la hausse de la TVA, si l’on prend en compte le fait que le taux de la TVA avait été revu à la hausse depuis 2005, et dont le montant actuel est de 19,25%, ceci dans le but d’accroitre le rendement fiscal au niveau de la consommation. On s’interroge alors sur la nécessité d’agrandir le champ d’application de la TVA. Plus particulièrement encore sur les locations en meublés, qui font déjà l’objet d’une taxe de séjour. Ce qui équivaut à une double taxation pour la même consommation.
Quatrièmement[5], la soumission des locations en meublés à l’impôt sur les sociétés, il s’agit là à notre sens d’une façon pour l’administration fiscale de doubler le rendement de la propriété. Cette nouvelle mesure nous pousse à nous interroger sur la nature de la cible. Il convient de rappeler que l’article 51 incluait déjà dans la catégorie de l’impôt sur les bénéfices industriels, artisanaux et commerciaux (BIC) les revenus des locations en meublé tirés par les personnes physiques.
En sus, l’institution d’un droit d’accises spécifique sur les emballages non retournables à savoir 15 FCFA pour les boissons gazeuses et alcooliques et 5 FCFA par emballage pour les autres liquides. Cette mesure traduit manifestement un souci de préserver l’environnement. Louable dans sa finalité. Enfin, l’établissement d’un taux de 10% pour les entreprises non domiciliées ayant renoncé à l’imposition d’après la déclaration et effectuant des prestations matérielles à caractère ponctuel[6].
Cependant, malgré tout ceci l’assiette fiscale au Cameroun reste faible ceci pour de nombreuses raisons.
- LES RAISONS DE LA FAIBLESSE DE L’ASSIETTE FISCALE AU CAMEROUN
Plusieurs raisons sont à l’origine de la fragilité de l’assiette fiscale au Cameroun. On peut citer entre autres :
- Le secteur informel
Le caractère irrégulier du secteur informel ne permet pas à l’Etat par le truchement de l’administration fiscale, de réunir amplement des moyens financiers pour répondre aux besoins de ses populations à savoir les routes, les écoles, les points, les hôpitaux. Le secteur informel occupe une grande partie de l’activité économique du Cameroun. Celui-ci représenterait d’après diverses estimations approximatives plus de 50% de l’économie camerounaise.
L’incapacité de l’Etat à pouvoir collecter des impôts sur ces activités compromet d’emblée le principe sacro soit d’emblée à l’égalité de tous devant l’impôt. Mais aussi, cette situation de l’économie au noir compromet. Ceci fait penser à une situation d’injustice sociale, qui décourage et révolte ceux qui sont normalement assujettis à l’impôt. Par conséquent, entraine le désintéressement et les protestations de la part des contribuables qui, pour ce faire, s’abstiennent.
- L’évasion fiscale
L’évasion fiscale est considérée comme l’évitement illégal car elle utilise les failles du système fiscal de l’Etat ou en déplaçant (tout ou une partie d’un patrimoine ou d’une activité) vers un autre pays sans que le citoyen concerné s’expatrie lui-même. Autrement dit il y’a évasion fiscale lorsque celui qui devrait payer l’impôt ne le paie pas sans que la charge ne soit reportée sur un tiers. C’est ce qu’on appelle l’évasion fiscale. Elle se réalise généralement par la voie de l’abstention ou de substitution. L’éventualité de l’évasion dépend de deux facteurs à savoir : la pression ressentie du fait de la charge fiscale et l’évitement de l’acte imposé.
Il existe plusieurs formes d’évasion dans l’assiette de l’impôt. On note la surfacturation des commissions ou courtages versés à l’étranger par les entreprises camerounaises. On peut également noter les frais d’assistance technique majorés versés à l’étranger et la vente des marchandises à des prix minorés aux entreprises du groupe situées dans les paradis fiscaux.
Ainsi, on a vu certaines entreprises camerounaises quitter le Cameroun pour s’installer dans les pays étrangers où elles bénéficient d’un régime fiscal plus favorable.
Vu le pourcentage élevé des activités du secteur informel au Cameroun, évaluées par leur nature, ces dernières échappent à la fiscalité avec comme conséquences un manque à gagner pour l’Etat. Puisque nul n’ignore plus un pays est sous développé, plus importante sera la part de l’économie informelle. Cela entraine un manque considérable pour le trésor public.
- La fraude fiscale
On considère comme fraude fiscale toute dissimilation matérielle, comptable et juridique. La fraude fiscale est une violation expresse de la loi ayant pour but d’échapper à l’impôt ou d’en réduire la base. En fait, il s’agit en l’espèce d’une forme de simulation : la réalité est cachée ou tronquée par exemple au moyen d’une déclaration inexacte ou par la fourniture des renseignements erronés.
La fraude fiscale se manifeste par la production d’un double bilan : un bilan fiscal qui est présenté au fisc pour l’établissement des impositions et un bilan réel qui retrace fidèlement la réalité des opérations (dissimilation matérielle)[7]. La vente sans facture ou avec fausse facture sont les techniques les plus anciennes (dissimilation comptable).
- La corruption
D’un point de vue théorique[8], il existe un lien direct entre la corruption et la fraude fiscale dont l’une des conséquences immédiates est la réduction des recettes publiques. Dans un environnement corrompu, la possibilité de négocier les pots de vin entre les contrôleurs et les contribuables, pourrait motiver les contribuables à accroître leur effort de travail dans illégalité.
Le contribuable, en recourant à la corruption, peut considérer acquitter une prime d’assurance lui permettant d’échapper à la sanction. Ainsi, la corruption aggrave certainement les effets de la fraude. Ses effets sont néfastes sur les recettes fiscales. Au Cameroun, la corruption est une véritable gangrène le développement du pays, dans presque tous les domaines on peut y faire face.
Il apparaît à cet effet une pléthore des formes de fuite devant l’impôt dont les manifestations se multiplient en variété et en ampleur. Cette fuite des recettes fiscales, comme on l’a déjà noté, ont des conséquences regrettables tant pour le rendement de l’impôt que pour la justice fiscale, pour l’économie où elle conduit à des distorsions et plus particulièrement déstabilise la politique fiscale d’incitation aux investissements. Aussi, faut-il lui chercher des remèdes.
- COMMENT POURRAIT-ON PROCEDER A L’ELARGISSEMENT DE L’ASSIETTE FISCALE AU CAMEROUN ?
L’élargissement de l’assiette fiscale au Cameroun devrait se faire par la maîtrise de cette dernière. La maîtrise de l’assiette fiscale suppose un contrôle de certains éléments qui existent déjà dans le but de les optimisés.
- L’éducation des contribuables
Afin d’obtenir un meilleur rendement de collecte de l’assiette fiscale, les contribuables doivent avoir l’information qu’il faut sur les impôts, et l’administration fiscale doit tout mettre en œuvre pour les éduquer. Tel que l’indique la plupart des acteurs de l’économie, « la culture de l’impôt ne peut se réaliser que grâce à des campagnes d’information et de sensibilisation conséquentes[9] ».
En effet, il est assez étonnant de constater qu’à ce jour, au Cameroun, il n’existe pas de radio, télévision, journal qui dispense des informations fiscales en permanence. Les quelques supports qui existent, sont réservés aux « initiés », et ne sont pas vulgarisés. Il serait souhaitable par exemple, à l’occasion des reportages sur les activités de l’Assemblée Nationale, portant sur les lois qui traitent de la matière fiscale, de faire une large diffusion dans les médias sur ce sujet. On constate que la DGI exploite peu les opportunités offertes pour mieux communiquer. En fait la communication aux contribuables doit viser à faire comprendre aux contribuables : Ce qu’est l’impôt, quel est son rôle, et sa finalité.
- L’actualisation du fichier des contribuables
Le fichier des contribuables est celui-là qui est constitué de l’ensemble des contribuables relevant des structures opérationnelles et qui accomplissent régulièrement leurs obligations déclaratives. En d’autres termes il s’agit du fichier qui comprend toutes les personnes physiques et morales domiciliées au Cameroun exerçant une activité soumise à l’impôt ou pas et enregistrées auprès des centres des impôts. Au Cameroun, ce fichier s’appelle « fiscalis », il est mis en ligne via l’adresse www.impots.cm. La maitrise de ce fichier permettrait d’avoir non seulement un répertoire national des contribuables actifs sur toute l’étendue du territoire, mais également contribuera à avoir une croissance de l’assiette fiscale.
De manière plus spécifique, l’on devrait avoir un répertoire comprenant la liste des contribuables présents dans toutes les communes du pays. Ainsi, grâce à la décentralisation, ce travail minutieux devra être plus facile, et le recouvrement plus important.
- La décentralisation
Les autorités devraient s’appuyer sur les collectivités territoriales décentralisées (CTD) pour consolider leur fiscalité locale afin d’asseoir l’assiette fiscale. Les CTD étant plus près des populations (contribuables), elles sont le mieux placées pour collecter les impôts. Ces dernières peuvent identifier, localiser, et immatriculer chaque contribuable par rapport à l’espace qu’il occupe, de manière efficace. La maîtrise de l’assiette fiscale à partir de la décentralisation suppose que les CTD recouvrent les impôts et les taxes des contribuables présents sur son territoire, afin que ce recouvrement soit plus important. Au Cameroun, l’Etat conserve les impôts les plus dynamiques et les plus rentables y compris sur les matières locales par nature telles que le foncier et certaines activités économiques. Par exemple, l’impôt foncier apporte un revenu stable car il ne subit pas comme l’impôt sur les activités les aléas de la conjoncture économique. Il se révèle être aussi un impôt à fort potentiel d’assiette et qui est équitable, lorsqu’il traduit la valeur réelle de l’immeuble ou du terrain. Comparé à d’autres taxes, son recouvrement est simple et présente un rapport coût bénéfice intéressant. Mais l’établissement de son assiette est coûteux lorsqu’on a recours à l’établissement d’une cartographie des parcelles et de leur mise en valeur, qu’il faut de plus mettre à jour périodiquement[10]. Voilà pourquoi nous recommandons que l’Etat transfert cette compétence au CTD.
- La maîtrise de la traçabilité des éléments comptables
Les documents comptables sont constitués d’une variété d’actes et de dispositions légales ou réglementaires justifiant la légalité des opérations comptables de recettes ou de dépenses. Comme documents comptables, nous pouvons citer : les lois de finances, les titres de perception, les actes d’opposition et tous autres actes de forme réglementée, justifiant le montant de l’opération exécutée en comptabilité. Sont également appelés documents comptables les registres et livres relatifs à l’enregistrement chiffré des opérations de recette ou de dépenses. Nous présenterons, les divers documents comptables tenus au niveau de chaque division à savoir : Caisse, Recouvrement et Comptabilité. La bonne tenue et l’organisation de ces documents comptables permet de mieux visualiser les contribuables. Le rôle de la documentation dans la maîtrise de l’assiette fiscale est de permettre de pouvoir collecter, organiser, archiver et communiquer (au besoin) les informations concernant les contribuables. La documentation permet de savoir nombre de contribuables que comptent le répertoire mais aussi de faire des estimations sur les montants à recouvrer.
L’optimisation fiscale devrait être engagée par la mise en place d’une facture comptable. Une action a déjà été réalisée dans ce sens : la mise en place de la dématérialisation de certaines procédures. L’élargissement de l’assiette fiscale doit s’effectuer par la fiscalisation de tous les secteurs d’activités (formel et informel), autrement dit, par l’extension de l’imposition à tous les agents économiques en atteignant ainsi ceux qui opèrent dans l’économie clandestine. Car ces derniers demeurent un véritable gisement fiscal qui pourrait générer d’énormes revenus substantiels sans pour autant remettre en question à la couverture des charges publiques[11]. Aussi, dans le cadre de la normalisation des recettes fiscales, il conviendra d’optimiser les mesures déjà prises à cet effet afin d’appréhender un nombre important de contribuables qui s’ingénient à se soustraire à l’emprise de l’imposition fiscale et lesquels pour l’essentiel opèrent dans le secteur informel ou dans l’illégalité. Cette optimisation est plus importante, et passe aussi par la sécurisation des recettes, impôts et taxes déjà existantes, plutôt que d’augmenter le taux d’imposition actes économiques. Car un taux d’imposition plus élevé ne fera que favoriser le contribuable à entrer/rester dans l’illégalité, ce qui continuera à rendre l’assiette fiscale faible.
[1] Jean, DUBERGE : Les français face à l’impôt, LGDJ, 1990.
[2] Articles 221 à 224 Code Général des Impôts.
[3] Articles 206 et 208 Code Général des Impôts.
[4] Article 127 al. 5 Code Général des Impôts. En 2021, le code général des impôts dans le cadre de la lutte contre la crise sanitaire de la COVID-19 prévoyait au profit des entreprises, la suspension de la taxe de séjour, l’exonération de l’impôt sur les bénéfices, dispense de paiement des acomptes et du minimum de perception, astreinte aux obligations déclaratives mensuelles.
[5] Article 3 Code Général des Impôts.
[6] Article 225 Code Général des Impôts.
[7] Elvice, DJOMENI KOLOKO : La fiscalité des investissements et l’optimisation fiscale cas du Cameroun, Université de Douala, Master II professionnel en fiscalité appliquée 2008, disponible en ligne.
[8] Philémon Parfait, ANGO ESSAMA : Mobilisation des recettes fiscales au Cameroun, Université de Yaoundé II Cameroun, Diplôme d’études approfondies/Master 2 en sciences économiques, spécialité économie publique 2010, disponible en ligne.
[9] Op. Cit.
[10] Jean Raoul, NKOUDOU BENGONO : La problématique du financement de la décentralisation territoriale au Cameroun, Yaoundé II Soa – DESS 2006.
[11] Il n’est pas forcément nécessaire de créer ou d’augmenter le taux d’imposition sur les impôts et les taxes pour élargir l’assiette fiscale.